1.
« Sergent Dixon ! »
Kurt s’immobilisa. Il connaissait bien cette voix. Lâchant les poignées de la charrue de bois, il lança un sec « Repos » au soldat et un poli « Si vous permettez » au lieutenant. Les deux hommes attelés au joug s’affaissèrent avec soulagement, tandis que Kurt s’avançait vers l’officier.
Marcus Harris, commandant du 427e régiment léger d’entretien des Marines spatiaux de l’Empire, était un personnage imposant. Les trois plumes argentées de colonel se dressaient fièrement sur sa coiffe de guerre, et son torse tanné par le soleil s’enorgueillissait de la comète écarlate, insigne des Marines spatiaux. Tandis que Kurt se mettait au garde-à-vous et saluait, le colonel observait d’un regard expert la terre fraîchement retournée.
« Vous savez tracer un sillon, soldat ! » Sa voix était dure et métallique, mais Kurt crut discerner une lueur d’approbation dans son regard de glace. Rougissant de plaisir, il redressa encore davantage son dos puissant.
Le regard du colonel se tourna vers la hache d’armes que Kurt portait au côté, dans un fourreau de cuir. « Votre arme est-elle aussi impeccable. »
Kurt rendit grâces au ciel d’avoir pensé à briquer sa hache le matin même, avant la sonnerie du réveil, jusqu’à ce que le manche en séquoia luise comme du satin et que la lame en obsidienne ait l’éclat du verre.
« En fait, poursuivit le colonel Harris, vous seriez de l’étoffe dont on fait les officiers, si…
— Si quoi ? demanda Kurt avec espoir.
— Si », reprit le colonel sur un ton paternel qui fit frissonner Kurt des pieds à la tête, « si vous n’étiez pas la bourrique la plus indisciplinée et inéducable, le paquet de muscles le plus obtus que j’aie jamais eu le malheur de commander. À en juger par votre dernière petite escapade illicite, vous n’êtes pas plus digne de porter des sardines de sergent que je ne le suis d’avoir une portée de chatons. Venez au rapport demain matin à dix heures ! Je vous promets que lorsque j’en aurai terminé avec vous – si vous vivez jusque-là – votre front sera vierge de tout insigne ! »
Faisant volte-face, le colonel Harris repartit à grandes enjambées vers l’enceinte du casernement, qui s’étendait à l’autre bout du plateau poussiéreux. Kurt le suivit un moment des yeux, puis son regard parcourut la vaste ceinture de jungle luxuriante qui entourait le haut plateau. Au nord, s’élevaient des montagnes aux cimes neigeuses ; son cœur bondit de joie en repensant aux étranges merveilles qu’il avait découvertes au-delà de ces pics. Pour finir, il regagna lourdement la charrue, tête basse. Au prix d’un dur effort, il se remit à la tâche.
« Debout, moribond ! » aboya-t-il au soldat, avant d’ajouter : « Si vous voulez bien, mon lieutenant. » De ses mains calleuses, il reprit les mancherons usés.
« Allez, au travail ! » Les deux hommes tendirent toutes leurs forces, et, dans un craquement de cuir et de bois, la charrue se remit péniblement à creuser la terre rocailleuse.